Deux décisions récentes du juge administratif rappellent une fois de plus aux communes que la rédaction des arrêtés de police doivent faire l’objet d’une attention particulière…
« Les visas ne peuvent tenir lieu de motivation » !
On ne le répètera jamais assez : lorsqu’un maire souhaite édicter, par arrêté, des mesures de police, sa décision doit être fondée en fait et en droit. La référence, dans les visas de l’arrêté, au bon article de loi permet de fonder la décision en droit. Mais en aucun cas, elle ne permet de la fonder en fait. Pour cela, le maire doit exposer les motifs, les circonstances constituant le fondement de la décision. C’est le rôle des considérants…
En l’espèce, le maire avait enjoint le propriétaire d’une maison d’exécuter des « travaux pris en charge par leur assurance » sur une maison fragilisée par des crues survenues quelques années auparavant. Si l’arrêté s’était bien fondé sur l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, il n’avait pas exposé les faits : aucune description de l’état de la maison, aucune mention de l’existence d’un danger pour la sécurité publique…
Face à cette situation et après avoir rappelé que « les visas ne peuvent tenir lieu de motivation », le juge a, logiquement, annulé l’arrêté municipal.
Conseil d’Etat n° 460272 du 2 janvier 2024
Pas d’interdiction de distribution de tracts en l’absence de circonstances particulières
Distribuer des tracts sur la voie publique relève de l’exercice de la liberté d’expression. Or, cette liberté « est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». Les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de cette liberté fondamentale doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
Un maire avait interdit la distribution de prospectus et de tracts à la population, dans un rayon de cent mètres aux entrées et sorties des établissements scolaires de la ville. Attaqué par une association, son arrêté visait des dispositions relatives à l’abandon de déchets et à la préservation de l’environnement ainsi que celles relatives à la police de la circulation (la distribution de tracts pouvant gêner la circulation des véhicules).
Or, le juge a relevé plusieurs problèmes dans l’arrêté municipal. D’abord, il ne faisait état d’aucune « difficulté spécifique, ni d’aucun incident particulier, liés à la distribution de tracts ou de prospectus sur son territoire ». Il note également l’absence de tout élément « de nature à circonstancier l’atteinte alléguée à la propreté et à l’hygiène publique », l’absence de tout « désordre ou risque de trouble à l’ordre public avéré » ainsi que l’emploi dans l’arrêté attaqué de termes « laconiques » et « généraux »
De plus, si l’arrêté a bien circonscrit dans l’espace de manière précise les limites de l’interdiction édictée (dans un rayon de « cent mètres aux entrées et sorties des établissements scolaires » de la commune), « il n’a apporté aucune restriction temporelle à cette interdiction, applicable en conséquence, sans aucune justification, de manière continue et pour une durée indéterminée ».
Le juge a donc considéré que l’atteinte portée à la liberté d’expression n’était « ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée ». L’arrêté a donc été annulé.
Élément accablant encore un peu plus la commune, cette dernière s’est prévalue, non pas dans son arrêté, mais dans son mémoire en appel, des dispositions de l’article L. 511-2 du code de l’éducation garantissant « le respect du pluralisme et du principe de neutralité de la liberté d’information et de la liberté d’expression » dans les collèges et les lycées, et précisait que les tracts distribués à proximité d’établissements scolaires avaient un caractère politique. Le juge y a vu là, le véritable mobile de la commune : « encadrer la distribution de tracts politiques et donc [restreindre] la liberté d’expression sur le territoire de la commune ».
Cour administrative d’appel de Versailles n° 22VE01166 du 25 janvier 2024